dimanche 26 août 2012

La méthode norvégienne

La rentrée est l'occasion de reprendre ce blog, en jachère pendant l'été. Il me semble que la condamnation d'Anders Breivik par la justice norvégienne est particulièrement intéressante. Alors qu'il est responsable de plusieurs dizaines de morts (8 dans un attentat à la bombe à Oslo, 69 à Utoya) et de nombreux blessés, il a été condamné à une peine somme toute modeste, de 21 ans de prison.

Modeste selon nos critères français. Je ne pense pas m'avancer beaucoup en considérant qu'Anders Breivik aurait été infailliblement, en France, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité - à supposer, ce qui me paraît aussi assez probable - qu'il ait été déclaré psychiatriquement responsable. La justice norvégienne s'est contentée d'une peine de 21 ans pour une raison simple : il s'agit là de la peine maximale encourue.

Il y a toutefois une différence importante entre nos systèmes judiciaires : si, dans 21 ans, Anders Breivik est toujours détenu, la justice pourra ordonner son maintien en détention, de cinq années en cinq années, s'il est toujours considéré comme dangereux. En France, jusqu'à la création de rétention de sûreté, une telle mesure n'existait pas.

Il y a dans la décision de limiter la peine maximale encourue à un terme plutôt modéré une certaine sagesse. La justice est là pour fixer la gravité du crime, selon une échelle qui est nécessairement relative. Il n'y a pas grand sens à fulminer des peines excessives contre le criminel potentiel. La peine a évidemment une fonction dissuasive mais il n'est pas utile de porter la dissuasion au delà du concevable. Je ne pense pas qu'il y ait des gens qui arbitrent en leur for intérieur que commettre tel crime "vaut" de passer 14 ans en prison mais pas 21. Passé un certain délai, généralement évalué autour d'une quinzaine d'années (cela doit varier selon l'âge), on bascule dans l'inévaluable. Limiter les peines de prison à 20 ou 25 ans me paraît donc tout à fait raisonnable.

Il faut alors étudier séparément une question importante qui, à mon sens, doit être soigneusement distinguée de celle de la peine : la protection de la société. 
Il est bien sur difficile de les distinguer totalement : tant que le criminel est en prison, le risque qu'il commette de nouveaux crimes est nettement diminué. Il n'en demeure pas moins qu'il est utile de distinguer les deux questions : la justice doit rétribuer l'acte, en fixer le "prix", pour l'auteur, pour la (ou les) victime(s) et pour la société. C'est la fonction première de la peine et, à mon avis, il serait bon qu'elle reste la fonction principale.

Rien n'interdit ensuite de permettre différentes mesures ou décisions, le cas échéant entre les mains du tribunal, pour assurer d'autres finalités : protéger la société, assurer la réinsertion ou la surveillance du condamné, exiger qu'il subisse des soins.... Ainsi, la Norvège met en oeuvre des mesures pour la réinsertion mais peut également maintenir indéfiniment sous les verrous des individus qui apparaîtraient trop dangereux pour être remis en liberté.


Notre communauté judiciaire, d'abord, et le Parlement, ensuite, gagneraient à avoir une véritable réflexion sur le sens de la peine, qui nous fait défaut. Au lieu de cela, nous avons adopté le comportement suivant : le Parlement augmente les peines maximales encourues quand il a le sentiment (sentiment généralement appuyé sur aucune évaluation concrète) que les juges ne sont pas assez sévères. Par ailleurs, au fur et à mesure des législations, on modifie le code pénal et le code de procédure pénale pour ajouter de nouvelles finalités à la peine. 
Les juges, ont, de leur côté, des pratiques judiciaires qui ne font non plus l'objet d'aucune évaluation et qui ont pour objet essentiel d'essayer d'éviter l'incarcération des condamnés.

Je ne connais pas grand chose à la Norvège mais je suppose que ce qui a été rendu possible en Norvège est le résultat, évidemment, d'une certaine richesse, d'abord, plus équitablement répartie, ensuite, ce qui limite la délinquance. Mais il y a aussi, certainement, la capacité à aborder des sujets compliqués sans idéologie, sans parti pris, avec le soucis du dialogue et de l'évaluation et sans faire de la lutte contre la délinquance un sujet politiquement polémique. La France n'a pas atteint ce stade de développement, malheureusement.