samedi 24 novembre 2012

Pour la suppression du mariage civil

A l'heure où le parlement va bientôt débattre du projet de loi instaurant le mariage "pour tous", j'avoue ne pas partager l'enthousiasme de mes contemporains pour cette querelle politique. 
Que certains considèrent que la civilisation occidentale, voire même la civilisation tout court, est menacée au point de hurler à la mort, de manifester de façon évidemment contre-productive (comment une manifestation placée sous l'égide de mouvements religieux pourrait avoir la moindre chance de prospérer en France ?), me laisse relativement pantois. 
Que, de l'autre côté, on considère comme une priorité absolue et la conquête d'un droit, voire même d'une liberté essentielle, le droit de se marier lorsqu'on est homosexuel ne me paraît guère plus compréhensible (enfin, légèrement plus quand même). Au fond, je ne vois pas dans ce projet de Loi quoi que ce soit de révolutionnaire puisqu'en fait il s'agit simplement d'un projet profondément conservateur : maintenir le mariage civil au coeur de la vie publique .

J'ai peut être une position excessivement libérale sur ce point mais j'ai du mal à comprendre pourquoi, au XXIe siècle, il serait indispensable que l'Etat offre aux couples désireux de vivre à deux un cadre juridique particulièrement contraignant. Ce cadre est si contraignant qu'il interdit aux ministres des différentes religions de le célébrer dans leur coin si cela leur chante.

Le mariage civil offrait, dans les temps passés, une certaine stabilité, parce que le divorce était impossible (jusqu'en 1884) ou difficile (jusqu'en 1975). Depuis lors, il se banalise, la moitié des couples divorçant. Faut-il y voir une catastrophe ? Pour ma part, je ne pense pas. Il faut juste considérer que l'idée de vivre toute sa vie avec la même personne quand l’espérance de vie est faible, qu'on a de grande chance de mourir à la guerre ou en couches (suivant son sexe), ce n'est pas un engagement qui a la même portée que vivre à deux pendant soixante ans. L'augmentation de la durée de la vie aurait du conduire à une réflexion sur le mariage (comme d'ailleurs la transformation des sources de revenus aurait du conduire à une réflexion sur les régimes matrimoniaux).

Je suis donc en faveur de l'abrogation du mariage civil. 
Si certains souhaitent formaliser leur union par une cérémonie publique, on peut très bien organiser une cérémonie civile qui marque le projet de vie commune. Cérémonie civile qui ne porterait pas d'engagement juridique mais simplement la reconnaissance publique de l'existence du couple. De leurs côtés, les différentes religions pourraient très bien continuer à célébrer des mariages, en leur donnant le contenu qu'elles souhaitent. Il ne s'agit donc pas d'abroger le mariage tout court, bien au contraire, puisqu'il correspond à une réalité sociale extrêmement fréquente.

Il conviendrait de prévoir des mécanismes juridiques spécifiques propres à la vie commune. Le mariage offre certaines protections qu'on peut facilement étendre à tous les couples, comme par exemple le fait que le contrat de bail dont bénéficie l'un des époux est automatiquement étendu à l'autre. Les règles sur la succession pourraient être modifiées pour étendre le statut du conjoint survivant au concubin survivant. Idem pour les règles fiscales. Enfin, on étendrait aux concubins la solidarité de droit pour les dettes ménagères (salutaire règle de protection des créanciers des concubins !). On peut même prévoir des "contrats de communauté", permettant aux couples qui le souhaitent de mutualiser leurs biens et leurs revenus comme dans l'actuelle communauté légale.
On objectera la situation des enfants. C'est oublier que désormais notre droit ne distingue plus les filiations légitimes et naturelles et que les droits et les devoirs des parents et des enfants sont exactement les mêmes pour un couple marié et un couple non marié. 

En d'autres termes, le législateur se bornerait à fournir des cadres juridiques pour régler les difficultés que la vie à deux est susceptible de poser, pendant et après, sans que les époux ne fassent le choix, à aucun moment de se placer sous la protection et la tutelle de ces règles. De cet absence de choix initial, il résulte que ces règles doivent être relativement souples pour permettre à chaque couple de choisir les règles qui conviennent le mieux à sa situation personnelle.  Il doit s'agir d'une législation pour l'essentiel supplétive (c'est-à-dire une loi qui s'appliquerait si le couple ne décide pas d'appliquer d'autres règles). Aux couples, à la société civile, de donner à chaque union le sens qu'elle entend leur donner : union jusqu'à la vie éternelle ou union de quelques années... à chacun de voir s'il s'engage et pourquoi.

Cela permettrait au législateur de se concentrer sur les questions essentielles au lieu de se pérorer sur des questions symboliques. En particuliers, la protection du plus faible dans le couple, avec des mécanismes comme la prestation compensatoire par exemple et la situation des enfants en cas de séparation. Aujourd'hui, le législateur règle cette question de façon très commode (pour lui) en laissant quasiment tout pouvoir au Juge aux affaires familiales. Autre question : les couples homosexuels peuvent-ils adopter ou avoir recours à une procréation médicalement assistée ? (questions que le titre de la loi "le mariage pour tous" semble tout de même un peu escamoter !).

A mon sens, et contrairement à ce qu'on peut penser, la suppression du mariage ne conduira pas à une catastrophe sociale. Les gens continueront à s'aimer et à vivre ensemble et à faire des enfants. Certains - beaucoup - continueront à rechercher une "caution publique" à leur union, soit auprès d'une confession soit sous une autre forme. La protection dont aujourd'hui jouissent les couples mariés serait étendue à tous - en ce sens, la nouvelle législation serait réellement plus égalitaire. Choisir une forme de célébration pourra continuer à tenir du conformisme à un certain modèle social rassurant (c'est le rôle de la société de fournir des modèles sociaux rassurant). Il sera juste social et non plus légal. 

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