mercredi 27 juin 2012

Un parquet européen

Dans Le Monde daté du 27 juin, Mireille Delmas Marty signe un article intitulé "Créons un parquet européen - Il faut lutter contre la fraude". S'appuyant sur l'élan qui se dessine actuellement en faveur d'une plus grande intégration européenne, elle défend l'idée que la lutte contre la fraude à la législation financière européenne justifie la création d'un parquet européen.  Mireille Delmas Marty met en balance la frilosité des États européens à s'engager dans cette voie avec l'engagement qu'ils ont montré en faveur de la cour pénale internationale.

A ce jour, l'encadrement conventionnel permettant la création d'un parquet européen est complexe. 
C'est l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit la faculté de créer un parquet européen. Cette faculté appartient au Conseil, à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. 
Il existe une voie alternative, permettant à neuf États d'instituer, entre eux, un parquet européen, par le biais d'une coopération renforcée. 
Ce parquet européen est habilité à rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement (une distinction qui n'a pas vraiment de sens en droit français) les auteurs des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. La juridiction saisie serait la juridiction nationale : il n'est pas prévu de créer un juge européen pour ces infractions financières. Une observation en passant : en donnant compétence au parquet européen pour "rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement", le traité européen semble consacrer une vision continentale, voire française, du rôle du ministère public, qui a la haute main sur les décisions de poursuite mais aussi sur la conduite de l'enquête. Chez nos voisins anglo-saxons ou allemands, le parquet a un rôle bien moins important, puisqu'ils sont quasiment absent dans la direction de l'enquête.

Il est par ailleurs prévu une "extension à la lutte "contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière" qui supposera, en tout état de cause, l'unanimité.


Il paraît très peu probable, même dans le contexte actuel, de parvenir à réunir l'unanimité des Etats membres de l'UE pour obtenir la création d'un parquet européen. Mais la France s'honorerait à faire partie du groupe des pays pionniers. Ca serait par ailleurs notre intérêt, afin que ce parquet prenne des orientations de travail qui ne soient pas trop éloignées de la conception française du ministère public. Ce serait également un signe adressé à nos voisins allemands que nous sommes prêts à faire un effort vers la rigueur budgétaire et financière et à accepter un contrôle international sur ceux qui, en France, fraudent le droit européen.

Pour autant, on ne peut que regretter l'optique essentiellement financière de ce parquet européen. Un vrai parquet européen aurait naturellement vocation à s'attaquer à la criminalité organisée transfrontalière, au terrorisme, aux infractions à l'environnement... Il est probable par ailleurs que la création d'un parquet européen aux compétences diversifiées conduira, tôt ou tard, à la constitution de juridictions répressives européennes. Ce sera un chemin long et difficile d'harmonisation de nos représentations et de nos conceptions en fait de procédure, de loi pénale, d'appréciation des preuves et de la culpabilité, de politique de la peine... mais ce travail, jusqu'à présent à peine ébauché, doit être conduit. Autant commencer dès maintenant.

mercredi 13 juin 2012

Amnistie ?

En découvrant la une de 20 minutes, ce matin, qui titre "l'amnistie comme solution", j'avoue être estomaqué. Le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, Jean-Marie Delarue, propose une loi d'amnistie pour mettre fin à la surpopulation carcérale (67073 détenus pour 57170 places).

Que la surpopulation carcérale soit un problème, c'est indéniable. Que Jean-Marie Delarue soit dans son rôle pour la dénoncer, c'est naturel. 

Mais quand même, proposer l'amnistie pour les peines inférieures à six mois d'emprisonnement quelques jours avant le second tour des élections législatives, ça a un petit parfum d'entourloupe politique. Ca ressemble à la TVA sociale, qui avait flingué la droite au second tour des législatives de 2007. Que la solution soit bonne ou mauvaise, qu'importe : ce que l'électorat va surtout retenir, et je ne doute pas que la droite n'y insiste, c'est : la gauche est revenue aux affaires, au secours, le laxisme revient

On aura beau essayer de dire que le contrôleur général des lieux privatifs de liberté est une Autorité administrative indépendante (AAI) et que par conséquent ses propositions n'engagent pas le gouvernement. On aura beau dire, comme l'a déjà fait Delphine Batho, que le Parlement ne votera pas de loi d'amnistie. On pourrait même argumenter sur le fait que l'amnistie ne signifie pas pour autant le laxisme. Peu importe : le mal est fait. Nous sommes mercredi, il reste trois jours de campagne et cinq jours avant le scrutin. L'électeur moyen lui, va comprendre une chose : le laxisme revient.

Il serait temps que le nouveau gouvernement normal apprenne à maîtriser sa communication. En deux semaines, on commence à accumuler les couacs : 
1) les ministres qui prennent si ostensiblement le métro que ça en devient risible ;
2) les embarras autour de Cécile Duflot et de la consommation de cannabis ;
3) le tweet de Valérie Trierweiller d'hier ;
4) et ce matin, cette proposition. 
C'est à François Hollande et à Jean-Marc Ayrault de resserrer les boulons, d'urgence.



mardi 12 juin 2012

Ok Corral

Depuis leurs maisons de l'île de Ré, les riches de droite, protégés par ce qu'il reste de leur bouclier fiscal, doivent suivre, non sans délectation, le soap opera qui se joue actuellement sur la rive d'en face, à La Rochelle. 
Les épisodes précédents sont bien connus et n'appellent qu'un bref résumé.

Ségolène Royal était à la recherche d'une circonscription où se présenter aux élections législatives, dans le but à peine secret de devenir présidente de l'Assemblée nationale. La 1ère circonscription des Charentes-maritime était disponible : le titulaire, socialiste, ne se représentait pas. Les règles internes au PS veulent que, dans ce cas là, la circonscription échoit à une femme. Ça tombe bien, Ségolène Royale en est une. 

Mais, les édiles locaux ne l'entendent pas de cette oreille. A leur tête, Olivier Falorni, premier fédéral du département, implanté localement de longue date. Il s'était résigné à ce que la députation lui échappe, puisque ça devait être une femme. Mais céder sa place à Ségolène Royal, pas question.

D'où une lutte fratricide et épique. Le PS a logiquement exclu Olivier Falorn et, soutenu Ségolène Royal. Ce qui n'a pas empêché Falorni de se prévaloir du soutien de François Hollande et de parvenir au second tour. La droite éliminée, le second tour opposera Ségolène Royal et Olivier Falorni. 

Dans ce cas de figure, il est habituel, à gauche comme à droite, que le deuxième se désiste. Cela donne une élection étrange, avec un seul candidat à la députation. Mais ça se fait. 
Pourtant,Olivier Falorni résiste. Et comment le lui reprocher ? Il sait bien qu'il aura avec lui une bonne partie des électeurs de droite qui y verront une bonne occasion de saborder le chemin semé de roses qui devait mener Ségolène Royal de La Rochelle au palais Bourbon. 
S'y ajoutent les électeurs de gauche qui ne peuvent pas supporter Ségolène Royal et, au vu du score d'Olivier Falorni au premier tour, il y en a un paquet. Bref, Olivier Falorni a de bonnes chances d'être élu député, de battre Ségolène Royal et de l'empêcher d'accéder à la présidence de l'assemblée nationale. J'imagine volontiers que beaucoup, rue de Solférino, sauront avoir le pardon facile à son égard.

Il y a de mauvaises raisons de s'opposer à la candidature de Ségolène Royal. En particuliers, l'idée qu'elle serait "parachutée". J'y reviendrai certainement dans un autre billet mais rien ne me paraît plus normal que le parachutage. Quand on est député, on est député de la Nation. Pas du village d'à côté. Peu importe qu'on vienne ou pas du village d'à côté. Il serait également malvenu de lui reprocher de candidater si outrageusement pour la présidence de l'assemblée nationale : c'est sain, en politique, d'avoir des ambitions et de les afficher. Accessoirement, Ségolène Royale est élue dans la région depuis 1988. Il y a des parachutages plus brutaux (Jack Lang, par exemple).

Il y a en revanche de bonnes raisons de s'opposer à cette candidature mais ces raisons sont indicibles à gauche, où l'on fait semblant que "seules les idées comptent". Les personnalités comptent aussi. Ségolène Royale passe pour une personnalité autoritaire, peu encline à la contradiction. Elle a une façon de faire de la politique et de se mettre en scène, en insistant sur sa dimension charismatique, qui m'irrite profondément. Et surtout, de sérieuses questions sur sa compétence se posent, des questions qu'on ne peut écarter d'un revers d'une main en s'exclamant : vous ne diriez pas cela si j'étais un homme !
Il est temps qu'on réhabilite une donnée essentielle du débat politique : les élections ne servent pas à choisir des idées, heureusement, mais des méthodes et des personnalités. Celles de Ségolène Royal sont, à tout le moins, fortement controversées, et elle ne fait pas mine de se remettre en question à ce sujet. 


Mais ce débat déjà bien animé et complexe vient d'être à nouveau ravivé par une dimension personnelle. La compagne du président de la République encourage Olivier Falorni. Les mots ont leur importance. Encourager n'est pas soutenir. Il est légitime qu'un homme politique en soutienne un autre dans le cadre d'une élection. Encourager, c'est autre chose. Cela peut relever d'une démarche plus personnelle, fondée sur des liens d'amitiés - ou d'inimitié ?
Bien évidemment, cela ne change pas grand chose : médiatiquement, Valérie Trierweiler, la nouvelle, prend clairement parti contre Ségolène Royal, l'ex. Le président de la République est confronté à des tensions entre son amitié pour Olivier Falorni et sa relation pour le moins complexe avec Ségolène Royal. 
Qu'il se refuse même à trancher signifie clairement que, lui aussi, souhaite la défaite de Ségolène Royal.

Un mot de lui, en effet, aurait suffit à ce qu'Olivier Falorni se retire. Il n'en a rien été. Et c'est normal. Ségolène Royal manque de la plus élémentaire décence politique : ex-compagne de l'actuel Président de la République, la vie politique doit lui être désormais fermée. Elle aurait du le comprendre d'elle-même, elle ne l'a pas compris. Il n'y a pas place pour le cumul des sentiments contradictoires, la confusion des pressions familiales et politiques. Il est regrettable que pour mettre fin à cette confusion, on en instaure une nouvelle, en permettant à Mme Trierweiller d'exprimer une opinion dissidente.


lundi 11 juin 2012

S'allier ou non avec le FN ?

La pression politique est trop forte. Deux tiers des électeurs de droite seraient en faveur de désistement entre le FN et la droite. Pour le moment, les ténors de l'UMP résistent. L'UMP sera probablement sur une ligne "ni-ni" : pas de front républicain contre le FN, pas de désistement en faveur du FN. 

Rien de plus logique à cette position. L'UMP ne peut pas appeler à voter pour des candidats du PS sans avoir à en payer le prix localement lors des prochaines échéances électorales. Au niveau national, appeler à voter en faveur de candidat du FN contre le PS serait également dévastateur.

L'UMP va perdre les élections législatives et le sait. Avec ou sans le FN, l'UMP va perdre. Elle n'a donc aucun intérêt à s'allier électoralement avec le FN : cette alliance ne lui rapporterait que quelques sièges inutiles et le prix moral à payer serait lourd.

Les sympathisants de droite, eux, ne voient pas les choses sous cet angle. Localement, ils voient qu'ils pourraient avoir un député plus proche de leur sensibilité et faire échec à un député de gauche. Ils sont donc en faveur d'un accord électoral. Localement, il y a fort à parier que certains candidats UMP seraient tout à fait demandeurs car ils se préfèrent au Palais Bourbon dans l'opposition que juste dans l'opposition. 

C'est pourquoi je pense que le scénario le plus probable sera qu'il y aura des accords au niveau local, là où les convergences idéologiques sont les plus fortes, c'est-à-dire probablement dans le sud est. Dans cette région, le vote FN et UMP est majoritairement lié à des questions de sécurité et il est sous-tendu par la même approche raciste des problèmes. Il y aura place pour des convergences locales que l'UMP et le FN dénonceront mais qui satisfairont tout le monde. Dans le nord, en revanche, où les questions sociales sont au coeur du vote FN, des accords seront plus difficiles à trouver, alors que l'UMP et le FN sont sur des positions radicalement différentes sur l'Europe et la Mondialisation.

Puis, il y aura forcément un moment où le contexte politique rendra possible des accords plus amples entre le FN et l'UMP. 

Cette convergence est rendue possible par la droitisation du discours de l'UMP depuis 2002, d'un côté, et par la normalisation du discours du FN, de l'autre. Une fois qu'on enlève les oripeaux nazis que Jean-Marie Le Pen aime à exhiber de temps à autre, le FN donne l'illusion d'être bien plus fréquentable.

Reste à savoir si le FN aura intérêt à des tels accords et j'en doute fortement. La popularité électorale du FN est largement liée à un discours "ni droite, ni gauche" et à une opposition tranchée sur l'Europe et la Mondialisation. Le Front national peut aussi déployer un discours "mains propres" d'autant plus facilement qu'il fait tout pour ne pas exercer la moindre responsabilité politique. Ce discours sera plus difficile à tenir, dans la perspective, par exemple, d'un accord de gouvernement.