jeudi 24 mai 2012

Giscard, Chirac et Sarkozy

Robert Badinter a dénoncé une exception française de trop, je cite : "La nomination à vie des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel devient une aberration. Le départ de Nicolas Sarkozy de l'Elysée et sa volonté proclamée de siéger au Conseil constitutionnel mettent à nouveau en lumière l'insoutenable paradoxe de la présence à vie des anciens présidents de la République dans cette institution. Rappelons d'abord que, seule de toutes les démocraties occidentales, la République française fait de ses ex-présidents des membres perpétuels d'une juridiction constitutionnelle." (Le Monde du 20 mai 2012). Hier matin, sur France Inter, Thomas Legrand en rajoutait une louche.

Je me permet pourtant quelques respectueuses objections. 

Dire que le Conseil Constitutionnel est une juridiction est déjà hautement contestable. Il ne tranche pas de litige, ne peut être saisi directement par des justiciables mais exclusivement dans des cas très spécifiques. Une seule exception : lorsqu'il statue comme juge électoral, lorsque sa qualité de juridiction peut difficilement être contestée. Le Conseil constitutionnel n'est pas composé de magistrats. Aucun texte ne lui reconnaît la qualité de juridiction. Il rend des décisions, non des jugements ou des arrêts (certes, le conseil d’État aussi).

Si exception il y a, ce n'est pas tant que les anciens présidents de la République soient membres de droit du Conseil constitutionnel. L'exception française, c'est la nomination de TOUS les membres du Conseil. Trois d'entre eux sont nommés sur proposition du président de la République, trois sur proposition du président du Sénat, trois sur proposition du président de l'assemblée nationale. Depuis la dernière réforme constitutionnelle, une commission parlementaire peut à certaines conditions s'opposer à leur nomination.
C'est un mode de nomination tout à fait particuliers. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, ... les juridictions suprêmes sont nommées selon le processus habituel de nomination des magistrats. En effet, là bas, il s'agit de juridictions à part entière.
S'il faut réformer la composition du conseil constitutionnel, c'est donc celle de l'intégralité des membres qu'il faut revoir, pas juste la question des anciens présidents de la République.

Ceux-ci, au vu du mode de nomination des membres ordinaires, paraissent ni plus ni moins légitimes que les autres. Ce sont des gens d'expérience, qui ont une bonne connaissance des mécanismes de l'Etat, du fonctionnement parlementaire,... Ils ont une légitimité incontestable : ils ont été élus comme Président de la République. Ca vaut bien un contrôle par une commission parlementaire. Après tout, la règle existe depuis 1958 et les Français doivent désormais savoir que lorsqu'ils élisent un président de la République, ils lui donnent un mandat de 5 ans à l'Elysée et un mandat à vie rue Montpensier. C'est un choix.

Thomas Legrand relevait hier matin le manque d'impartialité, les anciens présidents de la République ayant pu se prononcer sur tel ou tel projet de Loi. L'argument là encore ne concerne pas que les anciens présidents de la République. Si certains membres actuels ont été choisis pour leurs compétences juridiques (comme par exemple l'ancien vice-président du conseil d'Etat ou l'ancien premier Président de la cour de Cassation), d'autres ont clairement une couleur politique, bien connue du public. Par exemple, Michel Charasse ou Simone Veil, dont l'orientation politique n'est un mystère pour personne.

Que Robert Badinter, qui fut président du conseil constitutionnel, mais qui était avant un ministre de gauche vienne dénoncer un mode de nomination aberrant alors que lui même a bénéficié du fait du prince pas moins aberrant me paraît peu glorieux.

Soit on propose une vraie réforme de la composition du Conseil constitutionnel (par exemple en décidant une composition avec 3 magistrats de l'ordre judiciaire, 3 magistrats de l'ordre administratif et 3 personnalités politiques nommées par les trois autorités actuelles). Soit on se tait.

(avec une petite nuance toutefois, sur le cumul des rôles : on ne devrait pas pouvoir être avocat et membre du conseil constitutionnel, au vu notamment de l'importance actuelle des QPC. C'est là où il me semble que Nicolas Sarkozy doit faire un choix).

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