jeudi 31 mai 2012

Cauchemar en cuisine

Au risque de décevoir mes quelques lecteurs qui avaient pu se laisser abuser par un verbiage pseudo-intellectuel, j'avoue, oui, je le reconnais, je regarde cauchemar en cuisine. J'ai regardé non sans intérêt la version britannique, qui voit le chef cuisinier non moins britannique Gordon Ramsay, chercher à sauver des restaurants de la faillite. Et je regarde également la version française, animé par le chef Philippe Etchebest qui a le double mérite d'être un cuisinier étoilé (deux fois) et d'avoir été un joueur de rugby.

La comparaison de la version française et de la version anglaise de l'émission est tout à fait intéressante. Pour être très honnête, je n'ai regardé que deux épisodes de la version française et les quelques remarques qui vont suivre ne sont fondées que sur ces deux épisodes.
Il y a de nombreux points communs entre les deux émissions. Ce sont plutôt les différentes qui m'ont frappé.

1) dans la version anglaise, la dimension financière revient très fréquemment. Gordon Ramsay explique par exemple comment on gagne de l'argent comme restaurateur : en vendant du vin. Comme d'autres vendent du temps de cerveau disponible, le restaurateur vend de l'alcool et sert quelques petits plats autour qui font bien. C'est peut-être vrai économiquement mais je n'imagine pas qu'un grand cuisinier français se risque à tenir de tels propos. 
Ramsay insiste aussi sur le prix des plats à la carte, les trouvant soit trop cher, soit (souvent) pas assez. 

Dans la version française, l'argent est beaucoup moins présent. On sent bien évidemment que les restaurateurs qui font appel au Chef sont en difficultés financières mais c'est un aspect secondaire. On n'en parle que pudiquement. Ou on ne l'aborde que façon détournée, parce que celui qui a apporté de l'argent est parfois à l'origine des difficultés relationnelles (cf. l'épisode 1 de la saison 2, Le Grilladin).

J'y vois là une différence culturelle non négligeable entre les Français et les Anglais dans leur rapport à l'argent. En France, l'argent reste globalement un sujet qu'on aborde avec discrétion.


2) les relations humaines, inter-personnelles, me paraissent avoir plus d'importance dans la version française. C'est peut-être lié au fait que les deux épisodes que j'ai regardé tournent autour d'une cellule familiale qui a repris un restaurant (un couple, dans l'épisode 1 ; une mère et son fils, dans l'épisode 2). Pour autant, ces relations familiales ne sont pas pathologiques mais l'enjeu de l'intervention d'Etchebest est renforcé : il faut non seulement sauver un restaurant mais aussi sauver un couple, ou une relation mère/fils. Voire, comme dans l'épisode 2, faire grandir un éternel adolescent de 26 ans qui ne sait pas prendre ses responsabilités (parce que, notamment, sa mère ne lui laisse pas cette place).

Cette dimension humaine est déjà fortement présente dans la version anglaise mais elle est limitée à la sphère professionnelle. De fait, l'émission anglaise n'est pas tellement une émission sur la cuisine, mais plutôt une émission sur le management professionnel.
Pour la version française, les producteurs semblent avoir privilégié des restaurants où la dimension professionnelle n'est pas seule en jeu, et il y a une dimension presque psychanalytique dans les ressorts humains en jeu et la façon dont Etchebest intervient.

Plusieurs explications sont possibles. Soit, en Angleterre, il est rare que les restaurants soient tenus par une famille. Soit, les Anglais ont plus de pudeur à exposer leur intimité familiale que nous... ? Soit encore, les Anglais sont plus intéressés par de la télé-réalité sur l'univers professionnel et nous d'avantage par de la télé-réalité sur les relations privées ?


3) il me semble que dans la version anglaise, Gordon Ramsay laisse tout de même plus d'initiative aux restaurateurs. Ce qui m'a frappé dans l'émission française, c'est l'intervention des "experts", qui se livrent à une analyse du restaurant et refont entièrement la décoration. En un sens, on mélange un peu Cauchemars en cuisine et D&Co (j'avoue, ça m'est arrivé de regarder aussi. Oui, j'ai honte.). Sauf erreur de mémoire de ma part, ce n'était pas tant le cas dans la version anglaise : Ramsay disait ce qui n'allait pas dans la déco mais c'était au restaurateur de changer.

C'est juste une vague impression, mais ça me donne le sentiment que Ramsay assistait moins les restaurateurs chez lesquels il intervenait qu'Etchebest. Peut-être là encore est-ce une différence de mentalité :lorsqu'on intervient dans une entreprise, c'est d'avantage dans une logique "interventionniste", presque "étatiste" (nous on sait ce qui est bon pour vous). Évidemment, Etchebest prend le temps de convaincre ses vis à vis de la pertinence de son projet. Mais il ne se contente pas de le conceptualiser, il va loin dans la mise en oeuvre.

Cette dernière remarque serait certainement à nuancer, en regardant d'autres épisodes et en revoyant quelques épisodes anglais.


Il y aurait sans doute d'autres points de comparaisons. Ce qui serait intéressant, c'est de savoir dans quelle mesure les producteurs ont pensé ces différences. Ces différences ont-elles émergées naturellement, du fait de la personnalité des deux chefs ? Sont elles la conséquences de ce que sont les restaurants en France et en Angleterre ? Ou s'agit-il plutôt de différences qui ont été voulues, pensées par les producteurs, dans le but conscient de s'adapter au "marché" français ?

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