mardi 1 mai 2012

Poitiers

Je ne peux que recommander chaudement la lecture, à celui qui a un peu de temps à y consacrer, de La Guerre de Cent ans, de Jean Favier, un grand classique désormais, dont je suis encore loin d'avoir achevé la lecture. 
Deux passages, consacrés à deux batailles importantes de ce conflit m'ont particulièrement marqué : la bataille de Cassel (1328) et celle de Poitiers (1356). A vrai dire, la bataille de Cassel ne fait pas, techniquement, partie de la guerre de Cent ans, qui ne commence qu'en 1337. La référence à Poitiers, qui justifie le titre de ce billet, est évidemment adaptée au contexte actuel où l'on croirait être non en 2012, ni même en 1356, mais bien plutôt en 732.

Prenons d'abord l'histoire de la bataille de Cassel. Cassel est aujourd'hui une jolie petite ville flamande, non loin de Saint-Omer, qui présente la particularité d'être une butte permettant de dominer le pays flamand qui, comme chacun sait, est plutôt plat. Cassel a par exemple servi pendant la première guerre mondiale de quartier général au Maréchal Foch. 
En 1328, le comte de Flandre, incapable de mettre fin à la révolte de nombre de ses sujets - essentiellement des bourgeois des grandes villes flamandes -, avait été conduit à demander l'intervention de son suzerain, le Roi de France, Philippe VI de Valois, un roi tout neuf et tout juste auréolé du sacre, non du suffrage universel, mais de l'onction divine. Philippe monte aussitôt une expédition vers Cassel où les rebelles s'étaient réfugiés. Ceux-ci demandent "jour de bataille", c'est-à-dire que les deux armées s'affrontent sous forme de bataille rangée (ce qui, contrairement à une idée trop répandue à laquelle la lecture du Dimanche de Bouvines de Georges Duby aurait du tordre le cou, était plutôt un évènement rare aux temps médiévaux). Mais les nobles, qui composaient la troupe royale, n'ont guère d'égards pour des rebelles et méprisent leurs offres. Au lieu de se préparer à la bataille, ils mettent un oeuvre un petit banquet campagnard. Les troupes bourgeoises en profitent pour charger, au mépris du droit de la guerre et de tous les usages aristocratiques de l'époque. Ils ont bien failli remporter le combat.

On aurait pu penser que l'aristocratie française aurait retenu la leçon. Il n'en est rien. Près de trente ans plus tard, près de Poitiers, le Prince Noir, le fils du roi d'Angleterre, va piéger l'armée royale. En première ligne du combat, en preux chevalier, le roi, Jean II, le fils de Philippe VI, est capturé - il avait heureusement senti qu'il valait mieux assurer ses arrières et éloigné du lieu de la bataille plusieurs de ses fils, dont le dauphin, le futur Charles V. 

A Poitiers comme à Cassel, l'aristocratie française se bat comme elle a toujours fait : chacun part à la bataille séparément, avec ses propres vassaux. Il n'y a pas de réelle tactique commune. Chacun poursuit un objectif individuel : la capture d'aristocrates du camp adverse, pour en obtenir une rançon. Le principe qui guide le combattant aristocrate, c'est l'honneur, non la discipline. 

Le fracas de ces batailles, l'une gagnée de justesse, l'autre qui fut un désastre monumental, s'entend encore aujourd'hui. Nous combattons, dans la bataille mondiale, avec des principes d'un autre temps et nous n'apprenons guère de nos erreurs. Entre la chevalerie française du XVIe siècle et les élites françaises actuelles, je ressens une forte communion dans le mode de pensée : on ne change pas une méthode issue du passé.

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