dimanche 20 décembre 2015

Déménagement

Si tu existes encore, ô lecteur, saches que le blog a déménagé et se trouve désormais en ces lieux et places :

https://www.steppe.fr/paxatagore/

Bien à toi,

Paxatagore.

mercredi 19 décembre 2012

Vers les sociétés de gestion publique (1)

Les mutations actuelles de la démocratie occidentale me conduisent à formuler l'hypothèse suivante : dans les années à venir, vont se former des sociétés dont l'objectif sera de prendre le contrôle de collectivités publiques (Etat, collectivités locales...) et de les gérer. Appelons ces sociétés "société de gestion publique". 

Le système que je pronostique est le suivant : à intervalle réguliers, la collectivité publique X lancerait un appel d'offres. Cet appel d'offres permettrait de choisir des sociétés prestataires, avec pour mission de gérer une partie, voire la totalité, des politiques publiques menées par cette collectivité. 

Ce système existe déjà en partie : certaines collectivités publiques délèguent certains aspects de leurs politiques. Par exemple, les conseils généraux peuvent confier à des associations le soin d'exercer les mesures éducatives ordonnées par les juges des enfants. Par ailleurs, il est très courant que les collectivités publiques se fassent assister de cabinets de conseil pour la définition et la mise en oeuvre de projets. On a donc une double série de délégations : les délégations qui concernent la mise en oeuvre d'une politique publique, les délégations concernant la conception de politique publique (pour le moment limitée à la fonction de conseil).

Cette double tendance a naturellement vocation à se développer, surtout dans un contexte budgétaire contraint. Cela est renforcé par les différences de statuts entre les agents publics et les agents du secteur privé.

Bientôt, on verra se constituer des "groupes", des organisations complexes, destinées à proposer aux collectivités publiques toute une gamme de services allant de la définition à la mise en œuvre et au contrôle de politiques publiques. Dans un premier temps, ces groupes seront probablement sectoriels : il y aura les sociétés spécialisées dans le secteur social (déjà très important mais généralement organisé sous forme associative), puis les sociétés qui feront de l'urbanisme (il ne manque pas grand chose aux bureaux d'études actuels pour être en capacité de se substituer aux pouvoirs publics en la matière), ... Des sociétés qui établiront la comptabilité publique on arrivera probablement à des sociétés qui recouvriront l'impôt, sous le contrôle d'une société de certification des opérations comptables et financières.

Progressivement, ces sociétés sectorielles seront amenées à se regrouper, à mutualiser leurs compétences, leurs savoirs faire et leurs moyens. Ces sociétés vont également se regrouper internationalement. Nous aurons donc de grosses holdings de gestion publiques.

Il faudra alors adapter nos institutions. Au lieu d'élire un président de la République, une assemblée nationale, un gouvernement, etc, il faudra procéder par appels d'offre. Au lieu de campagne électorale menée tambour battants par des hommes politiques, nous aurons le choix entre plusieurs sociétés de gestions publiques. Vous n'hésiterez plus entre François Hollande et Nicolas Sarkozy mais entre EURO GESTION PUBLIQUE et WORLD PUBLIC MANAGEMENT (WPM). 

Chacune de ces sociétés se distinguera notamment par ses méthodes de gestion. Il est probable que les différentes écoles de marketing, de management, etc, investissent les différentes structures. Ainsi, on saurait qu'EURO GESTION PUBLIQUE pratiquerait plutôt une politique de valorisation salariale alors que MITTAL INDIA PUBLIC GESTION GROUP serait connu pour mal payer ses salariés - et donc pratiquer des coûts moindres.

L'intérêt de ce système est qu'il permettra enfin de limiter les coûts, grâce à d'astucieuses politiques de mises en concurrence ou de mutualisation. On peut imaginer, à l'aide de Ricardo et de l'avantage comparatif, que des pays se spécialisent dans certains domaines. Par exemple, ironie de l'histoire, la Grèce pourrait devenir un pays leader du traitement des déclarations fiscales, faisant valoir l'excellente expertise nationale en matière de fraudes pour détecter les déclarations inexactes.

Je développerai prochainement quelques aspects problématiques de ce nouveau mode de fonctionnement : disparition de la politique, contrôle, concurrence...

samedi 24 novembre 2012

Pour la suppression du mariage civil

A l'heure où le parlement va bientôt débattre du projet de loi instaurant le mariage "pour tous", j'avoue ne pas partager l'enthousiasme de mes contemporains pour cette querelle politique. 
Que certains considèrent que la civilisation occidentale, voire même la civilisation tout court, est menacée au point de hurler à la mort, de manifester de façon évidemment contre-productive (comment une manifestation placée sous l'égide de mouvements religieux pourrait avoir la moindre chance de prospérer en France ?), me laisse relativement pantois. 
Que, de l'autre côté, on considère comme une priorité absolue et la conquête d'un droit, voire même d'une liberté essentielle, le droit de se marier lorsqu'on est homosexuel ne me paraît guère plus compréhensible (enfin, légèrement plus quand même). Au fond, je ne vois pas dans ce projet de Loi quoi que ce soit de révolutionnaire puisqu'en fait il s'agit simplement d'un projet profondément conservateur : maintenir le mariage civil au coeur de la vie publique .

J'ai peut être une position excessivement libérale sur ce point mais j'ai du mal à comprendre pourquoi, au XXIe siècle, il serait indispensable que l'Etat offre aux couples désireux de vivre à deux un cadre juridique particulièrement contraignant. Ce cadre est si contraignant qu'il interdit aux ministres des différentes religions de le célébrer dans leur coin si cela leur chante.

Le mariage civil offrait, dans les temps passés, une certaine stabilité, parce que le divorce était impossible (jusqu'en 1884) ou difficile (jusqu'en 1975). Depuis lors, il se banalise, la moitié des couples divorçant. Faut-il y voir une catastrophe ? Pour ma part, je ne pense pas. Il faut juste considérer que l'idée de vivre toute sa vie avec la même personne quand l’espérance de vie est faible, qu'on a de grande chance de mourir à la guerre ou en couches (suivant son sexe), ce n'est pas un engagement qui a la même portée que vivre à deux pendant soixante ans. L'augmentation de la durée de la vie aurait du conduire à une réflexion sur le mariage (comme d'ailleurs la transformation des sources de revenus aurait du conduire à une réflexion sur les régimes matrimoniaux).

Je suis donc en faveur de l'abrogation du mariage civil. 
Si certains souhaitent formaliser leur union par une cérémonie publique, on peut très bien organiser une cérémonie civile qui marque le projet de vie commune. Cérémonie civile qui ne porterait pas d'engagement juridique mais simplement la reconnaissance publique de l'existence du couple. De leurs côtés, les différentes religions pourraient très bien continuer à célébrer des mariages, en leur donnant le contenu qu'elles souhaitent. Il ne s'agit donc pas d'abroger le mariage tout court, bien au contraire, puisqu'il correspond à une réalité sociale extrêmement fréquente.

Il conviendrait de prévoir des mécanismes juridiques spécifiques propres à la vie commune. Le mariage offre certaines protections qu'on peut facilement étendre à tous les couples, comme par exemple le fait que le contrat de bail dont bénéficie l'un des époux est automatiquement étendu à l'autre. Les règles sur la succession pourraient être modifiées pour étendre le statut du conjoint survivant au concubin survivant. Idem pour les règles fiscales. Enfin, on étendrait aux concubins la solidarité de droit pour les dettes ménagères (salutaire règle de protection des créanciers des concubins !). On peut même prévoir des "contrats de communauté", permettant aux couples qui le souhaitent de mutualiser leurs biens et leurs revenus comme dans l'actuelle communauté légale.
On objectera la situation des enfants. C'est oublier que désormais notre droit ne distingue plus les filiations légitimes et naturelles et que les droits et les devoirs des parents et des enfants sont exactement les mêmes pour un couple marié et un couple non marié. 

En d'autres termes, le législateur se bornerait à fournir des cadres juridiques pour régler les difficultés que la vie à deux est susceptible de poser, pendant et après, sans que les époux ne fassent le choix, à aucun moment de se placer sous la protection et la tutelle de ces règles. De cet absence de choix initial, il résulte que ces règles doivent être relativement souples pour permettre à chaque couple de choisir les règles qui conviennent le mieux à sa situation personnelle.  Il doit s'agir d'une législation pour l'essentiel supplétive (c'est-à-dire une loi qui s'appliquerait si le couple ne décide pas d'appliquer d'autres règles). Aux couples, à la société civile, de donner à chaque union le sens qu'elle entend leur donner : union jusqu'à la vie éternelle ou union de quelques années... à chacun de voir s'il s'engage et pourquoi.

Cela permettrait au législateur de se concentrer sur les questions essentielles au lieu de se pérorer sur des questions symboliques. En particuliers, la protection du plus faible dans le couple, avec des mécanismes comme la prestation compensatoire par exemple et la situation des enfants en cas de séparation. Aujourd'hui, le législateur règle cette question de façon très commode (pour lui) en laissant quasiment tout pouvoir au Juge aux affaires familiales. Autre question : les couples homosexuels peuvent-ils adopter ou avoir recours à une procréation médicalement assistée ? (questions que le titre de la loi "le mariage pour tous" semble tout de même un peu escamoter !).

A mon sens, et contrairement à ce qu'on peut penser, la suppression du mariage ne conduira pas à une catastrophe sociale. Les gens continueront à s'aimer et à vivre ensemble et à faire des enfants. Certains - beaucoup - continueront à rechercher une "caution publique" à leur union, soit auprès d'une confession soit sous une autre forme. La protection dont aujourd'hui jouissent les couples mariés serait étendue à tous - en ce sens, la nouvelle législation serait réellement plus égalitaire. Choisir une forme de célébration pourra continuer à tenir du conformisme à un certain modèle social rassurant (c'est le rôle de la société de fournir des modèles sociaux rassurant). Il sera juste social et non plus légal. 

mercredi 21 novembre 2012

Pourquoi François Fillon a raison.

J'imagine volontiers que la résolution de François Fillon de saisir la justice du litige en cours sur la désignation du président de l'UMP va susciter les critiques dans son propre camp. Les partisans de Jean-François Copé y verront une manœuvre politicienne. Probablement, des partisans de Fillon seront troublés. Pourtant, pour ma part, je trouve que c'est là le signe d'une vraie maturité politique et démocratique.

Quand on est en faveur d'un Etat de droit et d'une société policée, où le rapport de force ne saurait l'emporter, on ne rechigne pas à saisir la justice. Il est tout de même étonnant que saisir la justice soit considéré comme un facteur de division. Ce sont les élections qui sont un facteur de division - et c'est un effet voulu. Personne pourtant n'imagine supprimer les élections ! Si les adhérents de l'UMP se sont divisés en deux groupes parfaitement égaux ou presque, la justice n'y est pour rien. 

Ce qui est anormal, c'est qu'une personnalité politique majeure s'incline contre le résultat des urnes - ou ce qu'elle pense être le résultat des urnes. Si François Fillon considère qu'il a remporté les élections, il est naturel qu'il cherche à faire triompher son point de vue (par des moyens légaux, s'entend). De la même façon, Ségolène Royal aurait du, après le congrès de Reims, saisir la justice.

Certes, cela introduit une période d'incertitude, la justice n'étant pas toujours très rapide - mais enfin, quand on veut une décision de justice rapide, il y a des outils pour ça. Cela vaut nettement mieux que la suspicion qui entache le mandat de l'élu. Encore aujourd'hui, les conditions dans lesquelles Martine Aubry a été élue à la tête du PS font fortement débat. 

Saisir la justice, c'est envoyer un signal fort aux fraudeurs, qui sont légions dans les partis politiques : ce petit jeu là ne doit pas continuer. C'est adresser un signal fort aux adhérents des partis politiques : votre voix est sérieusement prise en considération. 


Il y avait évidemment une autre voie possible. Il aurait fallu que Copé et Fillon se réunissent et constatent qu'aucun des deux n'a réussi à obtenir une vraie victoire, une de celle qui rend réellement légitime. Chacun comprend bien que ce n'est pas avec 38 ou 98 voix d'avance qu'on est légitime, surtout dans un mouvement politique, où on ne peut pas réellement gouverner contre une moitié du parti. Ils auraient du en tirer les conséquences, quitte à proposer une personnalité qui soit d'avantage en mesure de faire l'unanimité - Alain Juppé, en clair. C'est ce que Fillon est en train de faire.

Sans doute y a-t-il derrière une conception différente du parti politique. Pour Copé, clairement, le parti politique est un fan club qui doit porter son chef vers la présidence de la République. Il s'agit de recruter des militants pour faire la campagne, d'avoir un relais qui lui permette de sentir l'opinion et des ressources en termes d'idées, de projets, d'argent et d'organisation. François Fillon a manifestement une vision plus traditionnelle, plus française du parti politique, comme celle d'un projet commun qu'il ne faut pas sacrifier. Mais il semble avoir à choisir entre le projet et le commun et le choix n'est pas aisé à faire.

dimanche 4 novembre 2012

Le Crépuscule des civilisations

Arte a diffusé samedi dernier deux documentaires sous le titre excessif de "Crépuscule des civilisations". Excessif, dans la mesure où il s'agissait surtout de la chute de deux régimes politiques, celui de l'Ancien empire égyptien et celui de l'empire khmer d'Angkor. Les civilisations égyptiennes et khmères s'en sont remises. Mais bon, il fallait bien un thème à la soirée. Comme le titre est racoleur, je me l'approprie pour ce billet où je n'évoquer que le premier de ces reportages, celui qui traite de l'Ancien Empire.

Pour mémoire, l'Ancien Empire désigne, traditionnellement, la première période d'apogée de l'Egypte antique. Wikipedia le situe aux alentours de -2700 à -2200 av JC. Pour faire simple, c'est l'époque des Pyramides. Eh oui, après, les Égyptiens ne construisent plus de Pyramides mais des tombeaux qui n'en sont pas moins extraordinaires. Ils se fondent juste d'avantage dans le paysage, puisqu'ils sont enterrés.

La thèse qui sous-tend le reportage d'Arte, c'est que l'Ancien Empire aurait pris fin parce que la prétention du Pharaon au monopole de la vie éternelle était devenu insupportable à la population. Dans les premiers temps de l'Ancien Empire, seul le Pharaon avait accès à la vie éternelle. C'était normal, il était divin. Puis, les reines ont obtenu ce privilège - ce qui démontre que la condition des reines dans l'Egypte antique devait être agréable puisqu'elles ont voulu la prolonger dans l'au-delà. Dans les derniers temps de l'Ancien Empire, une bonne part de l'aristocratie avait, elle aussi, acquis ce privilège. Dès lors, il devenait insupportable au reste du peuple d'en être privé. La première révolution socialiste de l'histoire serait donc intervenue pour acquérir un droit des moins évident à faire valoir, celui de pouvoir vivre après la mort. Ce droit n'est pas nécessairement un nec plus ultra. La vie après la mort, ce n'est pas toujours une sinécure. Si c'est pour se retrouver, pendant l'éternité, torturé par des démons qui vous font payer votre médiocrité humaine... 

Je n'ai pas de compétence particulière à faire valoir pour critiquer ou discuter la thèse du reportage. En bon marxisant matérialiste, j'ai tendance à penser que la vie après la mort, on y pense quand on a à manger dans son assiette. Du reste, le reportage ne fait pas l'impasse sur cette question et évoque des changements climatiques qui auraient asséché les rives du Nil et accéléré l'emprise du désert. Ces changements climatiques devaient réduire les approvisionnements alimentaires dont, logiquement, les pauvres étaient les premiers à souffrir (c'est la définition ontologique du pauvre). Que dans ces conditions, ils se révoltent, il n'y a rien que de très normal. 

Mais ça n'explique pas tout, la faim. Après tout, les mêmes pauvres avaient du travailler dans des conditions certainement épouvantables à la construction des pyramides et ils ne s'étaient pas révoltés pour autant (du moins, à ma connaissance). Et il n'y a pas de raison de penser que pendant trois cent ans, il n'y a pas eu un épisode de famine. Ce qui change, à mon avis, ce n'est pas la faim ou la souffrance mais le changement dans les représentations du pouvoir et dans sa puissance sacrée.

Au moment de l'apogée de l'Ancien Empire, quand les pharaons aux noms mythiques, Khéops, Khéphren... ont fait construire des pyramides, ils avaient réussi à ériger une représentation du pouvoir qui rendait impossible toute révolte. En résumé, Pharaon, de nature divine, fournit à l'Egypte sa subsistance et sa puissance. Dans ces conditions, il est logique qu'il y ait un prix à payer, la construction d'un tombeau adapté à la puissance de cette divinité, qui lui permet de rejoindre, à sa mort, l'au-delà. La magnificence de ce tombeau est du reste le reflet de la puissance et de la richesse de l'Egypte. La divinité du Pharaon le rend intouchable et rend inenvisageable de se révolter contre son autorité.

Au bout d'un certain temps, cependant, cela ne fonctionne plus. Les gens, que ce soit la cour autour du Roi ou le peuple ("l’Égyptien de la rue" - j'adore cette expression idiote), ne sont plus autant convaincus qu'avant de ces représentations qui faisaient du Pharaon une divinité. Son infaillibilité est remise en cause, cela d'autant plus que, visiblement, les richesses n'affluent plus autant qu'avant. La sacralité qui s'attache à la personne même du Pharaon perd de sa force. Et ce n'est qu'alors qu'une révolution devient possible. Si les représentations collectives qui fondent le régime perdent de leur force et de leur caractère sacré, alors ce régime risque, très fortement, de disparaître si les évènements extérieurs le fragilisent.

Il y a en fait, très probablement, une double interaction : les évènements extérieurs fragilisent le régime, donc les gens croient moins qu'avant à son caractère sacré, donc le régime devient plus fragile, donc les évènements extérieurs le fragilisent d'autant plus, etc. C'est une spirale négative. 

On peut compliquer un peu la spirale : généralement, quand un régime devient faible, les puissances extérieures s'en mêlent. Dans l'Antiquité, ce sont des peuples voisins, nomades ou sédentaires, qui s'empressent de fondre sur votre régime pour profiter des richesses accumulées (A l'heure actuelle, il semble que ce soit les financiers de Goldman Sachs qui spéculent sur votre dette souveraine - il y a une différence toutefois : les peuples voisins généralement construisaient autre chose, créaient un autre régime alors que les financiers assèchent financièrement leur proie avant d'aller en trouver une autre).

Cela ouvre plusieurs questions :

1) Quel est le facteur déclenchant ? Est-ce l'impossibilité du régime de faire face à un élément extérieur qui le fragilise ? Ou est-ce qu'il n'y a pas une donnée, inhérente à la civilisation humaine qui fait qu'au bout d'un certain temps, on "n'y croit plus" ? N'est-il pas inscrit dans "l'ADN des civilisations" que passés 300 ou 400 ans, les fondements idéologiques ou religieux du régime en place ne sont plus suffisants pour assurer sa domination ?

2) Comment un régime peut-il survivre à cette crise ? Certains régimes ont connu des crises mais ont su les surmonter, au prix souvent de mutations considérables (le passage de la République à l'Empire, par exemple, à Rome) ou de changements dynastiques. 

3) La démocratie moderne obéit-elle aux mêmes lois ? Notre régime date d'il y a environ 200 ans et repose sur des fondements élaborés, pour l'essentiel au XVIIIe siècle. Ces fondements sont, en grande partie, très éloignés des réalités de notre temps. Peut-on postuler que la démocratie n'est pas assise sur des fondements religieux mais rationnels et que nous sommes donc à l'abri d'une "crise de foi" ?

dimanche 26 août 2012

La méthode norvégienne

La rentrée est l'occasion de reprendre ce blog, en jachère pendant l'été. Il me semble que la condamnation d'Anders Breivik par la justice norvégienne est particulièrement intéressante. Alors qu'il est responsable de plusieurs dizaines de morts (8 dans un attentat à la bombe à Oslo, 69 à Utoya) et de nombreux blessés, il a été condamné à une peine somme toute modeste, de 21 ans de prison.

Modeste selon nos critères français. Je ne pense pas m'avancer beaucoup en considérant qu'Anders Breivik aurait été infailliblement, en France, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité - à supposer, ce qui me paraît aussi assez probable - qu'il ait été déclaré psychiatriquement responsable. La justice norvégienne s'est contentée d'une peine de 21 ans pour une raison simple : il s'agit là de la peine maximale encourue.

Il y a toutefois une différence importante entre nos systèmes judiciaires : si, dans 21 ans, Anders Breivik est toujours détenu, la justice pourra ordonner son maintien en détention, de cinq années en cinq années, s'il est toujours considéré comme dangereux. En France, jusqu'à la création de rétention de sûreté, une telle mesure n'existait pas.

Il y a dans la décision de limiter la peine maximale encourue à un terme plutôt modéré une certaine sagesse. La justice est là pour fixer la gravité du crime, selon une échelle qui est nécessairement relative. Il n'y a pas grand sens à fulminer des peines excessives contre le criminel potentiel. La peine a évidemment une fonction dissuasive mais il n'est pas utile de porter la dissuasion au delà du concevable. Je ne pense pas qu'il y ait des gens qui arbitrent en leur for intérieur que commettre tel crime "vaut" de passer 14 ans en prison mais pas 21. Passé un certain délai, généralement évalué autour d'une quinzaine d'années (cela doit varier selon l'âge), on bascule dans l'inévaluable. Limiter les peines de prison à 20 ou 25 ans me paraît donc tout à fait raisonnable.

Il faut alors étudier séparément une question importante qui, à mon sens, doit être soigneusement distinguée de celle de la peine : la protection de la société. 
Il est bien sur difficile de les distinguer totalement : tant que le criminel est en prison, le risque qu'il commette de nouveaux crimes est nettement diminué. Il n'en demeure pas moins qu'il est utile de distinguer les deux questions : la justice doit rétribuer l'acte, en fixer le "prix", pour l'auteur, pour la (ou les) victime(s) et pour la société. C'est la fonction première de la peine et, à mon avis, il serait bon qu'elle reste la fonction principale.

Rien n'interdit ensuite de permettre différentes mesures ou décisions, le cas échéant entre les mains du tribunal, pour assurer d'autres finalités : protéger la société, assurer la réinsertion ou la surveillance du condamné, exiger qu'il subisse des soins.... Ainsi, la Norvège met en oeuvre des mesures pour la réinsertion mais peut également maintenir indéfiniment sous les verrous des individus qui apparaîtraient trop dangereux pour être remis en liberté.


Notre communauté judiciaire, d'abord, et le Parlement, ensuite, gagneraient à avoir une véritable réflexion sur le sens de la peine, qui nous fait défaut. Au lieu de cela, nous avons adopté le comportement suivant : le Parlement augmente les peines maximales encourues quand il a le sentiment (sentiment généralement appuyé sur aucune évaluation concrète) que les juges ne sont pas assez sévères. Par ailleurs, au fur et à mesure des législations, on modifie le code pénal et le code de procédure pénale pour ajouter de nouvelles finalités à la peine. 
Les juges, ont, de leur côté, des pratiques judiciaires qui ne font non plus l'objet d'aucune évaluation et qui ont pour objet essentiel d'essayer d'éviter l'incarcération des condamnés.

Je ne connais pas grand chose à la Norvège mais je suppose que ce qui a été rendu possible en Norvège est le résultat, évidemment, d'une certaine richesse, d'abord, plus équitablement répartie, ensuite, ce qui limite la délinquance. Mais il y a aussi, certainement, la capacité à aborder des sujets compliqués sans idéologie, sans parti pris, avec le soucis du dialogue et de l'évaluation et sans faire de la lutte contre la délinquance un sujet politiquement polémique. La France n'a pas atteint ce stade de développement, malheureusement.


mercredi 27 juin 2012

Un parquet européen

Dans Le Monde daté du 27 juin, Mireille Delmas Marty signe un article intitulé "Créons un parquet européen - Il faut lutter contre la fraude". S'appuyant sur l'élan qui se dessine actuellement en faveur d'une plus grande intégration européenne, elle défend l'idée que la lutte contre la fraude à la législation financière européenne justifie la création d'un parquet européen.  Mireille Delmas Marty met en balance la frilosité des États européens à s'engager dans cette voie avec l'engagement qu'ils ont montré en faveur de la cour pénale internationale.

A ce jour, l'encadrement conventionnel permettant la création d'un parquet européen est complexe. 
C'est l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit la faculté de créer un parquet européen. Cette faculté appartient au Conseil, à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. 
Il existe une voie alternative, permettant à neuf États d'instituer, entre eux, un parquet européen, par le biais d'une coopération renforcée. 
Ce parquet européen est habilité à rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement (une distinction qui n'a pas vraiment de sens en droit français) les auteurs des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. La juridiction saisie serait la juridiction nationale : il n'est pas prévu de créer un juge européen pour ces infractions financières. Une observation en passant : en donnant compétence au parquet européen pour "rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement", le traité européen semble consacrer une vision continentale, voire française, du rôle du ministère public, qui a la haute main sur les décisions de poursuite mais aussi sur la conduite de l'enquête. Chez nos voisins anglo-saxons ou allemands, le parquet a un rôle bien moins important, puisqu'ils sont quasiment absent dans la direction de l'enquête.

Il est par ailleurs prévu une "extension à la lutte "contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière" qui supposera, en tout état de cause, l'unanimité.


Il paraît très peu probable, même dans le contexte actuel, de parvenir à réunir l'unanimité des Etats membres de l'UE pour obtenir la création d'un parquet européen. Mais la France s'honorerait à faire partie du groupe des pays pionniers. Ca serait par ailleurs notre intérêt, afin que ce parquet prenne des orientations de travail qui ne soient pas trop éloignées de la conception française du ministère public. Ce serait également un signe adressé à nos voisins allemands que nous sommes prêts à faire un effort vers la rigueur budgétaire et financière et à accepter un contrôle international sur ceux qui, en France, fraudent le droit européen.

Pour autant, on ne peut que regretter l'optique essentiellement financière de ce parquet européen. Un vrai parquet européen aurait naturellement vocation à s'attaquer à la criminalité organisée transfrontalière, au terrorisme, aux infractions à l'environnement... Il est probable par ailleurs que la création d'un parquet européen aux compétences diversifiées conduira, tôt ou tard, à la constitution de juridictions répressives européennes. Ce sera un chemin long et difficile d'harmonisation de nos représentations et de nos conceptions en fait de procédure, de loi pénale, d'appréciation des preuves et de la culpabilité, de politique de la peine... mais ce travail, jusqu'à présent à peine ébauché, doit être conduit. Autant commencer dès maintenant.